Jacob luttant avec l’ange, un dessin de Rembrandt que j’ai longuement regardé à Amsterdam, quand mes parents m’y avaient amené, et j’avais sans doute quinze ans. Préparer un culte, c’est, en tout petit, pendant presque une semaine, presque ça.
Se mesurer avec une force qu’on ne saurait définir. Bien sûr, on a les textes proposés pour le dimanche, on a des commentaires déjà lus, ou entendus, on a des fiches pour aider. Bref, on a des béquilles pour avancer.
Mais là, on est en face d’une responsabilité forte : dire tout haut ce que parfois on ne se dit même pas tout bas. Par exemple, annoncer la Résurrection à une famille dont on va enterrer un membre, une vieille mère, un père, un oncle… On les a rencontrés, on a vu le degré de chagrin, ou d’hésitation à dire le chagrin, ou la concurrence entre chagrin et soulagement. Comme dans les icônes orthodoxes, l’âme du défunt a -t-elle été enlevée au ciel, bien emmaillotée et dans les bras du Christ ? Ou bien c’est du bla-bla-bla ?
Presque tous les membres de la petite assemblée venue pour cette «sépulture» se trouvent pour la première fois dans un temple. En quelques mots, il faut que tous se sentent accueillis. Donc il faut vraiment les accueillir, ouvrir les bras, les mains, les oreilles, les yeux. C’est plus dans le ton, dans la voix que dans les mots qu’on y arrive. C’est à cela qu’il faut se préparer avant tout.
Cette Résurrection que nous vivons dans la Cène, parfois si fortement, que le Royaume est à portée de main, parfois plus distraitement - il faut aujourd’hui en parler sans que cela soit senti comme une simple métaphore, du beau-parlé, et rien de plus !
Je ne le dirai pas, mais c’est en moi : la mort de mon père, celle de ma mère, leur départ - eux n’y pensaient pas vraiment à cette Résurrection. Ma grand-mère préférée y croyait, ma tante s’y prépara tout sa vie. Alors, les mots viennent librement, ou presque, pour parler de cette défunte, ce défunt d’aujourd’hui.
Ils ont été uniques, comme chacun de nous, mais souvent ils ne le savaient pas, ou bien croyaient que personne ne le pensait. Et les enfants, les amis, le découvrent peut-être seulement aujourd’hui. C’est le moment de le dire sans pathos, mais à voix haute, à eux tous, là-devant.
Un psaume y aide toujours. Car les psaumes contiennent tout, et ils nous contiennent tous. C’est eux que je lisais à voix basse, la nuit, devant mon frère qui agonisait.
Mais ici, il faut en lire un seul, et encore rien qu’un tout petit bout, pour faire court. Et à voix ferme, cette fois-ci, pas en murmurant.
Certes, l’épître aux Romains est là, puissante, comme toujours, Et puis les paroles du Christ, «laissez les morts enterrer les morts». Ça, je ne le dirai surtout pas, chacun doit le découvrir – chaque vivant, c’est-à-dire chaque mortel : au fond de soi, chacun, à sa façon l’admettra ou pas.
Renaître «incorruptible d’un corps corruptible». Ce sont des mots ? Ou bien c’est notre conviction, notre espérance ? Ce jour-là, cette semaine-là où tu prépares ta prédication, tu le vis intensément.