Depuis le 22 février, nous vivons des temps comme nos parents ou nos grands-parents ou arrière-grands-parents enont vécu, nous pas... L’invasion de l’Ukraine, une guerre fratricide entre deux peuples frères, était impensable, mais est à présent réelle.
L’auteur de l’Archipel du Goulag, Alexandre Soljénitsyne, avait un grand-père ukrainien. En avril 1981, on le sollicita depuis Toronto au Canada, qui abritait beaucoup d’émigrés ukrainiens, pour savoir s‘il pensait qu’un futur conflit était possible entre Russes et Ukrainiens.
Il répondit : «Dans mon cœur, il n’y pas de place pour un conflit russo-ukrainien. Et si, Dieu nous en préserve !, nous en arrivons à cette extrémité, je peux dire – jamais, en aucune circonstance, je j’y participerai, ni laisserai mes fils y prendre part, quels que soient les efforts déployés par des têtes démentes pour nous y entraîner».
L’Ukraine est un pays jeune – trente ans d’âge – et très ancien. La princesse Anne de Kiev, fille du roi Yaroslav le Sage, épousa en 1051 le roi de France Henri 1er et fut sacrée reine dans la cathédrale de Reims. Elle y apporta un évangéliaire en langue sacrée, le slavon d’église, qui est toujours dans le trésor de la cathédrale de Reims.
Jeune et antique, telle est l’Ukraine. Elle a une grande littérature depuis le XIXe siècle, avec un premier poète national, Taras Chevtchenko. Le tsar Nicolas 1er ordonna, lorsqu’il fut emprisonné, de lui interdire tout papier et tout crayon. Or Chevtchenko était dessinateur autant que poète.
Le second poète national du XXe siècle, est Vasyl Stus. Il est mort durant son second séjour au Goulag, d’une grève de la faim qu’il mena à terme. On voit dans sa poésie que la foi le soutenait par moment. Ou plus exactement qu’il découvrit Dieu dans sa geôle.
Il écrivait mentalement ses vers, les incluait dans des lettres à sa femme. Voici un court poème - il y décrit le transfert en Sibérie.
Rails, verges, barbelés. On tombe – Marche ! On se relève – Marche !
Mitraillettes fichées dans le dos. Cœurs au carré, Cercles au carré !
Au carré la mort, nous tombons front contre terre.
Laisse-moi bénir ta libre volonté, Chemin-Destin, Chemin-Douleur !
Sur cette Croix sans fin, sur cet effroi, vision sans fin d’un cri de mort.
Ukraine ! Accorde-moi chemin d’honneur ! Ukraine, accorde-moi visage sans peur !
Il me semble que le vœu du poète Stus dans son cachot est exaucé aujourd’hui : le chemin d’honneur est là, le visage sans peur est là, la douleur est là, la croix est là.
Nous qui prions toujours pour les prisonniers, les exilés, les souffrants, les orphelins, nous savons que la route humaine, parfois si joyeuse, si belle, peut devenir chemin de croix, comme la route de Jésus. Aujourd’hui nous sommes tous assommés, parce que la guerre, que nos parents ou grands-parents ont connue, se représente à nous et veut nous englober. Nous avons honte de laisser les Ukrainiens seuls. Nous pensons au courage des Russes qui protestent, tombent et se relèvent, eux aussi.
Seigneur, que Ta paix transperce les lourdes armures ; qu’elle illumine les hommes cachés dans les blindés comme les civils dans leurs abris et leurs caves. Qu’elle révèle la béatitude des cœurs purs aux victimes et aux pauvres bourreaux. Qu’elle descende sur les orphelins, les veuves et tous ceux qui cherchent en vain amis ou parents.
Seigneur, donne-nous la compassion active, prépare-nous plus que jamais à l’accueil du réfugié, au secours du désespéré. Avec l’aide de l’Esprit. Amen
Georges Nivat